lundi 26 août 2024

A propos de l'autorité éducative

 Ce texte accompagne la vidéo de la chaine Teachschnock sur YouTube

 






 

Pendant plusieurs années à l’IUFM/ESPÉ/INSPÉ j’ai animé des séances de formation consacrées à la “gestion de classe”. Au cours des années, le titre a changé et c’est d’ailleurs assez révélateur de l’évolution de la conception. On est passé de “tenue de classe” à “gestion de classe” puis à “gestion de classe et climat scolaire”. Le terme de “tenue de classe” m’a toujours mis mal à l’aise avec ce qu’il sous-entendait de rapport de forces et de “domptage”. La “gestion” renvoie à un vocabulaire plus technique et nous permet d’insister sur l’aspect systémique et l’existence de “ressources”. Le rajout du terme “climat scolaire” nous rappelle heureusement que tout cela s’inscrit dans une logique de construction collective. 

Mais derrière la question de la gestion de classe, un mot arrive rapidement : “Autorité”. C’est la question qui vient très vite chez les enseignants débutants (jeunes ou moins jeunes et à tout niveau) : aurais-je assez d’autorité pour m’imposer ? Comment construire mon autorité ?

 

Clichés, lieux communs et serpents de mer

Lorsque j’évoquais ces séances de formation auprès de personnes hors de l’école, les réactions étaient très diverses. Ironique : “Tu leur fais des cours d’auto-défense ?”, Péremptoire : “De toutes façons, l’autorité est naturelle, on l’a ou on l’a pas…”. Mais même parmi les collègues, les réactions étaient très tranchées : “ne jamais sourire avant Noël”, “On n’est pas là pour négocier”, “ce qui est le plus important c’est de bien maîtriser sa discipline”. Et chacun d’y aller de son conseil et de “la” méthode infaillible.

C’est d’ailleurs sur cette base qu’étaient nées ces formations il y a une quinzaine d’années avec un enseignant médiatisé qui avait réussi à imposer une démarche auprès de l’administration centrale de l’éducation nationale. Un DVD avait été produit où notamment ce jeune collègue indiquait que, si on mettait deux doigts sur la table, cela permettait d’arrêter les bavardages et de renforcer son autorité. Cette séquence a beaucoup été moquée. On la retrouve dans le film de Thomas Lilti « Un métier sérieux ». Mais le réalisateur a été obligé de la retourner avec un comédien car, curieusement, ce fameux DVD est aujourd’hui introuvable... !

S’il suffisait d’un geste pour avoir de l’autorité ça se saurait ! Ceux qui ont également un avis sur l’autorité ce sont les politiques et les éditorialistes. On ne compte plus les Unes des journaux sur son déclin et les discours politiques sur la restauration de celle ci. Le déclinisme et la démagogie prospèrent...

 

 

Définir l’autorité

Nous allons essayer de sortir de ces débats biaisés pour nous donner des outils pour penser notre métier et définir l’autorité 

La notion est complexe et polysémique. Si on s’en tient à une définition classique, l’autorité est le pouvoir d’obtenir, sans recours à la contrainte physique, un certain comportement de la part de ceux qui lui sont soumis. En excluant l’intervention de la force, on la distingue de la notion de pouvoir. C’est ce que souligne cette définition de Gérard Mendel (1971) : « L’autorité est le pouvoir d’obtenir quelque chose de l’autre sans avoir à se justifier et sans le recours à la force »

Fort heureusement, les enseignants n’utilisent pas la violence pour se faire obéir et pour faire faire aux élèves ce qu’ils veulent qu’ils fassent. Sur quoi repose alors l’obéissance ? Sur la légitimité que les élèves leur reconnaissent.

Max. Weber distinguait ainsi trois types idéaux d'autorité et de légitimité:

-       L'autorité traditionnelle trouve sa légitimité dans la tradition. On respecte les règles et ceux qui les incarnent parce qu’il en a toujours été ainsi...  

-       L'autorité charismatique trouve sa légitimité dans la personnalité de celui qui l’incarne et l’emprise qu’il provoque.  

-       L'autorité légale-rationnelle est, selon Weber, celle qui caractérise la modernité. Elle est inscrite dans le droit civil ou administratif et est légitimée par la complexité de la division du travail dans une société telle que la nôtre. En d’autres termes, on obéit parce qu’on évolue dans une institution qui a défini des règles auxquelles on se conforme et que les acteurs de cette institution sont supposés avoir des compétences qui les rendent légitimes pour obtenir cette obéissance.  

Si on s’en tient à cette typologie, l’autorité dans l’Éducation Nationale relève donc surtout de la dernière catégorie. Mais l’autorité charismatique constitue aussi un idéal ou un fantasme pour beaucoup (cf. l’autorité naturelle).

On peut nuancer la définition de Gérard Mendel sur un autre point. Celui ci indique, en reprenant Hannah Arendt, que l’individu qui obtient l’obéissance le fait « sans avoir à se justifier ». Dans le domaine pédagogique c’est très discutable. On peut aussi obtenir l’adhésion par l’argumentation et la justification même si celle ci a ses limites. On se conforme mieux aux règles si on les a comprises et même pourquoi pas négociées...

 Par cette nuance on peut aussi établir une distinction entre l’autorité et l’autoritarisme qui en est une dérive et une perversion.

 

 

L’autorité éducative

Bruno Robbes dans ses travaux sur l’autorité éducative présente l’autorité éducative avec l’aide de trois verbes :

-       “Etre l’autorité”

-       “Avoir de l’autorité”

-       “Faire autorité”

Cette distinction permet de distinguer l’autorité qui provient du statut (“être”), de la compétence acquise (“avoir”) et celle qui est liée à l’auteur lui même : l’autorité qui autorise, qui augmente . Pour reprendre les termes mêmes de Bruno Robbes : « Avoir de l’autorité en tant que personne, c’est avoir cette confiance suffisante en soi, c’est être suffisamment maître de sa propre vie pour accepter de se confronter à l’autre avec son savoir et ses manques. […] Rien de naturel dans cette autorité là : c’est par des actes posés tout au long d’une vie que le sujet s’autorise progressivement à assumer un statut, reconnu par la mise en œuvre de savoirs qu’il continue à développer. »

 

Autrement dit l’autorité n’est pas ici seulement une autorité qui contraint mais aussi une autorité qui permet à l’élève d’évoluer : « je suis suffisamment conscient de mon autorité que je te permets d’être autonome dans un cadre que j’ai fixé ». Et cette autorité me vient des compétences et des savoirs que j’ai construits. Et les élèves reconnaissent ces compétences. Le maître est le maître parce qu’il sait ce qu’il fait et qu’il sait où il va et qu’il a confiance dans ma capacité à progresser et apprendre. Ce que Michel Serres appelle “la présomption de compétence”

 

Bien loin de ceux qui conseillent de ne pas sourire avant Noël (NSBC : never smile before Christmasdisent les anglo-saxons)  le sourire, la bienveillance peuvent aussi contribuer à l'autorité, la vraie, celle qui autorise... Lorsqu'on se déguise, qu'on joue un rôle, les élèves le voient et ressentent votre posture (au sens éthologique du terme) comme une défense et donc une crainte.

Assumer ce que l'on est, faire preuve d'humour, "lâcher prise", être souriant, c'est aussi dire inconsciemment aux élèves : “regardez, je suis à l'aise, je n'ai pas peur de vous, on peut faire alliance” et c'est aussi donc indirectement marquer son autorité.

Pour ma part, j'utilisais beaucoup l'humour en classe (et pas l'ironie, même si ça peut m'échapper) et les élèves se disaient (du moins je l'imagine) qu'un type qui est capable de faire ça en classe, est à l'aise et maîtrise les choses. Et on peut alors avancer dans les apprentissages.

Cela ne m'empêche pas bien au contraire d'être garant du “cadre” et donc de rappeler les limites afin de garantir à chacun (y compris contre soi même) qu'il puisse bien y avoir la possibilité d'apprendre.

Après (ou avant plutôt…), bien sûr, il faut maîtriser les contenus. Si vous n'êtes pas à l'aise sur les contenus que vous enseignez, cela va se voir presque physiquement. En revanche si vous les maîtrisez, vous serez plus à l’aise y compris dans votre posture et vous autoriserez plus facilement  à sortir du contrôle et à laisser de la place aux élèves. Les problèmes de discipline sont donc aussi des problèmes de discipline (scolaire) mais ils ne sont pas que cela. Il ne suffit pas de maîtriser les savoirs savants et scolaires pour être un bon enseignant. Il faut aussi avoir réfléchi à son rôle et aux questions d’autorité.

 

C’est l’objectif de ce blog et de cette chaine vidéo de vous proposer des outils d’analyse pour penser son métier. Nous poursuivrons la réflexion surtout ces sujets dans de prochaines chroniques. 

 

PhW

 

 

Quelques références sur l’autorité éducative

 

Cahiers Pédagogiques n° 557 (décembre 2019) L’autorité éducative

 

Bruno Robbes L’autorité éducative dans la classe ESF-Sciences Humaines 2020

 

EduBref n°20 mai 2024 L’autorité éducative Institut Français de l’ Éducation

 

Philippe Watrelot Autorité et gestion de classe : quelques points de repère Blog Chronique Éducation

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