Le premier secret : ne pas faire cours!
Pas tout le temps, pas systématiquement comme trop souvent on fait. On peut arrêter de faire toujours cours et se reposer un peu.
Comment ? En prenant appui sur le formidable réservoir d’énergie potentielle des élèves. En faisant comme en randori au judo quand on s’entraîne au combat : on utilise la force et la souplesse des partenaires (et non adversaires…) pour les entraîner dans le mouvement même de tout apprentissage (et non pour les mettre ippon sur tatami…) ; […] Ne pas puiser dans cette fontaine de jouvence et d’énergie peut conduire à une déperdition rapide du plaisir d’enseigner, et la carrière peut se terminer, quelque quarante annuités plus tard, par une grosse fatigue existentielle…
En arrêtant donc un peu de pratiquer le cours magistral, on parie sur leur éducabilité active, sur leur capacité à se mobiliser quand on les tire de la passivité où ils sont plongés habituellement
Car on découvre bien vite que le métier de prof est particulièrement fatigant : lourdeur des effectifs, services et horaires impossibles, paquets de copies toujours à corriger, équipements insuffisants ou défectueux, discipline à assurer sans faille, réunions, conseils, etc. Mais il y a autre chose aussi. Quiconque n’a jamais eu à faire la classe au quotidien, ou qui l’a oublié, ne peut comprendre ce qu’est l’entropie pédagogique qui mesure le prix énergétique à payer à chaque nouvelle heure de cours pour mettre le système-classe en mouvement. […] C’est la raison pour laquelle on sort parfois vidé de trois ou quatre heures de cours consécutifs. On ne saurait en faire guère plus de six par jour et il serait difficile de nous imposer, comme à d’autres travailleurs, 35 ou 39 heures par semaine, RTT comprise.
Quand j’ai constaté ainsi sur moi-même cette déperdition entropique d’énergie, je me suis souvenu d’une formule que m’avait communiquée un maître nonchalant mais perspicace : wP x wE = constante.
Traduction : le produit des efforts du professeur par ceux de l’élève est une constante énergétique. Il s’ensuit que plus le prof travaille moins l’élève apprend. L’inverse est également vrai. »
Ce long extrait provient d’un texte écrit par Raoul Pantanella dans les Cahiers Pédagogiques n° 406 de septembre 2002 dans le dossier “Faire la classe au quotidien “. S'il n'est plus disponible sur le site des Cahiers Pédagogiques, on peut le trouver dans les bibliothèques et en fichier sur quelques sites de partage
La formulation de ce que j’avais qualifié par amitié de « théorème de Raoul » et le titre de l’article (« plus je parle moins ils travaillent ») m’avaient interpellé à l’époque et je n’ai cessé depuis d’y faire référence.
C’est, à mon sens, un bon point de départ pour questionner le poids du cours magistral et notre appétence pour cette pédagogie frontale mais aussi pour s’interroger sur les conceptions de l’apprentissage. Et puis, et ce n’est pas rien, c’est aussi un guide de survie pour durer dans l’enseignement.
Pourquoi le cours magistral ?
Une anecdote pour commencer. Vers l’âge de 9-10 ans, mes parents nous ont emmenés, ma petite sœur et moi, visiter les châteaux de la Loire. J’avais beaucoup aimé. Revenu à la maison, un jour que l’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, j’avais répondu sans hésiter “guide de château”. Pourquoi ? « Car, le monsieur frappe dans ses mains, tout le monde se regroupe autour de lui et vient l’écouter ! »
Depuis, je suis devenu enseignant ! Mais j’ai aussi compris assez vite que ce n’était pas aussi facile que ça et surtout que ce n’était pas la garantie pour que les élèves apprennent et retiennent.
Extrait de la BD "les Profs" |
Je crois qu’il y a une composante narcissique forte dans le désir de devenir enseignant. Beaucoup souhaitent “ être au centre” pour être écoutés. Je ne faisais pas exception à la règle. Mais il importe de déconstruire cette appétence pour le cours magistral qui est aussi le produit des représentations que l’on a du métier et qui sont celles que l’on retrouve dans la culture populaire (le cinéma, la bande dessinée, etc.)
Même si les pratiques évoluent, notamment dans l’enseignement primaire, le modèle dominant reste celui du cours magistral et notre tradition scolaire, c’est un enseignant, seul, face à une classe. C’est pour cela qu’on parle aussi de « pédagogie frontale ».
Il y a dix ans l’enquête Talis sur l’enseignement, publiée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), montrait la prégnance, en France, de cette pédagogie « verticale ». Moins qu’ailleurs, les enseignants français travaillent collectivement. Moins qu’ailleurs, ils font travailler leurs élèves en petits groupes (37 % disent le faire), moins qu’ailleurs, ils lancent des projets d’au moins une semaine (24 %) ou utilisent des outils numériques (22 %). Une minorité affirme différencier sa pédagogie selon le niveau des élèves (22 %).
Si on a eu quelques enseignants passionnants qui vous captivaient par la puissance de leur verbe, si « Le cercle des poètes disparus » montre un professeur charismatique qui fait rêver (pas moi…), on sait bien aussi que ce modèle trouve vite ses limites. Qu’avons nous retenu ? Comment a t-on réellement appris ? Ce n’est pas forcément dans le face à face que nous sommes le plus efficace.
Attention ! Mon propos n’est pas de dire qu’il faudrait bannir le cours magistral. Je ne le dis pas (et Raoul non plus !). Mais il ne faut pas le considérer comme la modalité ultime de la forme scolaire et s’interroger sur son efficacité et le replacer parmi un éventail de possibilités pédagogiques. Autrement dit c’est à consommer avec modération
Comment apprend t-on ?
Il est évidemment difficile de résumer en quelques phrases des approches théoriques qui ont donné lieu à de longs développements. On peut cependant tenter de résumer la diversité des approches des conceptions de l’apprentissage et des pratiques d’enseignement en quelques grands courants.
• « La connaissance se transmet »
La conception traditionnelle des apprentissages repose sur l’idée qu’on apprend par le simple fait de recevoir des informations, par « imprégnation ». La métaphore souvent utilisée est celle du vase que l’on remplit. Pour apprendre, il suffirait alors d’avoir des élèves attentifs, motivés capables de mémoriser intelligemment. Dans une telle logique, le cours magistral est la méthode principale d’enseignement.
• « La connaissance s’acquiert »
C’est ainsi qu’on pourrait résumer le modèle behavioriste. Ce modèle repose sur la définition de connaissances à acquérir en termes de comportements observables et l’apprentissage résulte alors d’une suite de conditionnements par la répétition et de renforcements. La pédagogie par objectifs se situe dans cette logique avec des micro-objectifs et des consignes précises appliquées à des séries d’exercices.
• « La connaissance se construit »
Dans ce modèle, la connaissance ne se transmet pas verbalement, elle doit être nécessairement construite et reconstruite par celui qui apprend. Et cette reconstruction se fait dans l’interaction et la confrontation avec les autres. C’est d’ailleurs pour cela que l’on parle de socio-constructivisme. L’enseignant, dans cette perspective, a un rôle de « facilitateur des apprentissages », de « médiateur » (Vygotski). Il crée des situations problèmes qui vont permettre à l’élève d’être acteur dans la construction de ses connaissances et compétences.
Les travaux des neuroscientifiques vont dans le même sens. Stanislas Dehaene dans un article intitulé « les quatre piliers de l’apprentissage » détaille les principaux apports des neurosciences dans la compréhension de l’acte d’apprendre. Parmi ceux-ci, il insiste sur l’engagement actif en rappelant ce qu’ont dit avant lui les grands pédagogues : on apprend mieux quand on est impliqué et motivé et qu’on est acteur et pas seulement “spectateur” !
« J’entends et j’oublie, Je vois et je me souviens, Je fais et je comprends. » nous dit la sagesse populaire (ou Confucius...) Ces trois conceptions de l’apprentissage ne sont pas exclusives l’une de l’autre. La répétition est une excellente méthode pour intégrer un certain de nombre de connaissances et surtout de compétences. Répéter les verbes irréguliers, ça marche. Faire et refaire la même procédure, aussi.
Installer et conserver un moment magistral en cours est aussi très utile pour « fixer » ce qui a été appris durant l’activité. On parle alors d’ « institutionnaliser les savoirs ».
Il peut donc y avoir complémentarité entre ces trois approches.
L’enjeu n’est pas seulement de transmettre des connaissances, mais de s’assurer qu’elles sont acquises durablement et efficacement par les élèves. Les enseignants doivent être des spécialistes du « faire apprendre » plus que de simples « transmetteurs ».
Pour cela, nous devons varier les situations d’apprentissage. La pédagogie ne se limite pas au cours magistral mais englobe et intégre les situations suscitant la réflexion collective et la coopération des élèves.
Faire travailler la classe par groupes apporte toujours un regard nouveau sur les élèves. On peut les découvrir très différents avec quelquefois de réelles surprises. Car pour l’enseignant, c’est l’occasion d’observer la façon dont l’apprentissage se construit, les obstacles auxquels sont confrontés les élèves et de passer, selon la jolie formule de Philippe Meirieu, d’une pédagogie du « face à face » à une pédagogie du « côte à côte ». La surprise est souvent aussi positive en découvrant des raisonnements beaucoup plus élaborés que nous ne le pensions, ou des compétences insoupçonnées car peu mises en valeur dans la forme d’enseignement traditionnel.
Guide de survie
Revenons à cette phrase qui nous sert de fil conducteur.. Si, comme nous avons essayé de le montrer, l’essentiel de ce qu’il faut en retenir est l’importance de l’activité dans l’apprentissage, il y a aussi dans ce que nous dit l’ami Raoul un conseil pour survivre et durer dans ce métier.
Tenir tout le cours sur ses épaules, « assurer le show », c’est épuisant… et même ennuyeux.
Même si elle est différente de celle qu’on éprouve alors, il peut y avoir aussi une grande satisfaction à prévoir un dispositif, une activité et de la voir se dérouler comme on l’avait prévu. Cela demande un travail en amont qui est important mais qui peut être capitalisé d’une année sur l’autre. C’est aussi l’occasion de travailler avec d’autres et de mutualiser et ainsi de rompre l’isolement trop souvent présent dans ce foutu métier.
L’ennui nait de l’uniformité, dit-on. Cela s’applique particulièrement aux mécanismes de l’apprentissage et au travail enseignant. Mais varier les méthodes les temps et les activités, est non seulement un enjeu pour ne pas s’ennuyer mais aussi une nécessité pour s’adapter à des élèves tous différents.
Au fur et à mesure, avec l’expérience, les essais et les erreurs, vous verrez mieux ce qui marche et les conditions à réunir. Vous verrez mieux aussi les ressorts qu’il faut activer pour les motiver et susciter le désir d’apprendre et « la saveur des savoirs ».
Cet article accompagne la vidéo éponyme qui se trouve sur la chaîne Teachschnock sur Youtube
Philippe Watrelot
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