samedi 28 septembre 2024

Gestion des conflits et tensions


Dans les questions pédagogiques qui s’imposent lorsqu’on s’engage dans le métier d’enseignant, si on suscite une réflexion sur l’autorité et sur la construction d’un cadre, il y a aussi un aspect incontournable tant il est présent dans les inquiétudes des enseignants débutants : c’est la gestion des conflits. 

Si la question est particulièrement vive quand on débute, elle concerne tous les enseignants qui peuvent s’y trouver confrontés à des degrés divers. Il y a de multiples situations en classe. Certaines sont sources de tensions et peuvent dégénérer et l’enseignant doit faire face, décider et agir rapidement. 

« décider dans l’urgence, agir dans l’incertitude », cette phrase que nous avons déjà explorée, prend alors tout son sens dans ces moments cruciaux. Car on n’est jamais vraiment prêt à affronter des situations de conflits qui sont toujours singulières et spécifiques. Mais on peut malgré tout s’y préparer.  Cela suppose de  savoir qu’elles peuvent se produire, en connaitre les mécanismes et s’être forgé en amont quelques principes d’action.

Un dessin de Honoré Daumier (1808-1879)


Tensions et risques de conflits

Les cas sont nombreux et on ne peut évidemment en faire une liste exhaustive. Cela peut partir d’une situation banale qui s’envenime, d’une mauvaise communication, d’un conflit entre élèves ou d’une opposition d’un individu ou de la classe toute entière avec l’enseignant. Evoquons brièvement quelques exemples. 

Cela peut être des tensions autour de l’évaluation : notes contestées, élèves qui se disent mis en échec,  demande de refaire un autre contrôle, protestations autour du bureau en fin d’heure…
Vous faites une réflexion à un élève qui bavarde mais celui ci réagit vivement en répondant «Mais, il n’y a pas que moi, et de toutes façons vous en avez toujours après moi. »
Les tensions extérieures peuvent s’inviter dans la classe : deux élèves peuvent s’affronter verbalement (ou pire...) pour régler un différend sous le regard des autres élèves. Le harcèlement est aussi un mécanisme qui explique certaines tensions. 
Vous pouvez aussi avoir réagi (trop ?) vivement au bruit ou à l’agitation et provoquer en retour une tension plus grande encore. La tension peut alors être collective et le produit d’un affrontement entre l’enseignant et le groupe classe apparemment unanime. 


Les ingrédients des conflits

Quelle est la recette pour fabriquer un conflit ? S'ils sont toujours particuliers, on peut quand même repérer quelques grandes constantes. Les ingrédients sont souvent les mêmes...

Le sentiment d’injustice est souvent une composante forte des tensions. Il s’agit bien d’un « sentiment » c’est-à-dire d’un ressenti qu’il est donc difficile de lever de manière rationnelle. Il importe en tout cas de ne pas le nier et de dire qu’on l’entend. Il peut être utile de laisser s'exprimer les sentiments.
Ce sentiment d'injustice est souvent renforcé par un ressenti assez voisin qui est celui de ne pas être pris en compte dans son individualité. On est là dans une situation paradoxale : si les élèves, comme tout le monde, réclament un traitement égal, ils veulent aussi qu’on prenne en compte leurs spécificités !

Quand on travaille avec des jeunes, on apprend vite que les questions d’estime de soi sont fondamentales. Tout ce qui peut l’affecter est hautement inflammable et cette dimension affective peut avoir des conséquences durables sur les relations. Il faut être très vigilant sur les risques de sur-réaction et d’engrenage. On ne gagne jamais dans la surenchère et l’escalade verbale. 

Cela est renforcé par la dimension collective. Rien de pire que de « perdre la face » devant les autres. C’est pourquoi, ce qui peut passer pour une victoire quand on fait un bon mot qui cloue le bec à un élève peut s’avérer bien illusoire car celui-ci ne va retenir que l’humiliation face au groupe. 
Les phénomènes de groupe sont évidemment au cœur des tensions. Dans une tension individuelle, les autres ne sont passifs. Ils sont des spectateurs actifs et peuvent jouer un rôle d’« engreneurs »

Il faut aussi rappeler que si la classe est composée d’individus, elle peut être traversée de dynamiques positives ou négatives. Les leaders négatifs (ou positifs) ça existe et ça peut jouer un rôle important dans les phénomènes d’engrenages en jetant de l’huile sur le feu ou en apaisant. On repère cela assez vite. 

N’oublions pas aussi que la communication est à la fois verbale et non verbale. La manière dont vous dites les choses, le ton employé, le volume sonore, votre posture, sont tout aussi importants que vos paroles. Ce n’est pas forcément en élevant la voix qu’on est le plus efficace. Cela peut même avoir l’effet inverse. L’énervement est interactif Employer un ton posé et calme peut être un outil bien plus puissant. De même, se transformer en « cocotte minute » en faisant « chut ! » toutes les 30 secondes n’est pas le meilleur moyen d’obtenir le silence

Enfin, c’est une banalité de le dire, le contexte et le moment sont des éléments importants dans le déclenchement des conflits. La fatigue (la vôtre tout comme celle des élèves ) est évidemment une variable clé. Si vous êtes fatigué, vous serez plus facilement irritable. Il en est de même pour les jeunes que vous avez en face de vous. Il faut donc être vigilant. ! On peut même en jouer ou en rire avec les élèves en prévenant et en leur faisant prendre conscience que le contexte (fin de la journée, cours situé après un contrôle, veille de vacances, etc.) est propice aux tensions. A vous (et eux)  de vous adapter. 


Un cadre souple

On a évoqué dans un autre article, la nécessité de construire un « cadre » pour le travail et les règles de vie. Faisons ici l’apologie d’un cadre « souple », voire caoutchouteux !

Trop de rigidité peut nuire, gardons nous de sur-réagir. En cas « d’indiscipline » (bavardage, intervention intempestive, «insolence», …) il est nécessaire de graduer la riposte : le bazooka est inutile quand la tapette à mouches peut suffire ! 
Il faut aussi être quelquefois (selon l’heure, le contexte… ) un peu sourd et myope pour ne pas voir et entendre certains dérapages...

Prenons garde aussi à ne pas prendre « pour soi » des comportements qui sont d’abord une réaction face à l’institution «École ». Il ne faut pas interpréter les attitudes des élèves comme des attaques personnelles. Il ne faut pas non plus confondre « culture de groupe » et insolence. Certaines manières de parler ou d’agir sont surtout le produit du groupe social auquel ils appartiennent, il faut le prendre avec recul. Cela n’empêche pas de rappeler le langage et les codes de l’école, mais il importe de ne pas les stigmatiser et de faire la part dans ces déviances entre une éventuelle provocation et un simple dérapage. 

« Avant de t’indigner, rappelé toi ce que tu faisais à leur âge » disait Fernand Deligny dans Graine de Crapule. 


Les quatre D…

J’ai pratiqué pendant de nombreuses années, des formations à la gestion des conflits en formation initiale et continue. Je me suis beaucoup appuyé sur les vidéos qu’on trouve sur le site néopas@ction qui proposent des vraies situations dans des classes. 
J’ai aussi pratiqué le théâtre d’intervention. Le principe est le suivant : les protagonistes de départ jouent une saynète une première fois sans être interrompus. Puis ils la jouent une deuxième fois mais les spectateurs peuvent intervenir pour remplacer l’un ou l’autre des “acteurs” et proposer une autre solution à la situation proposée. Ce dispositif a l’avantage d’obliger à une forme d’empathie puisqu’il amène à se mettre dans la peau d’un élève et de faire preuve d’imagination pour imaginer d’autres solutions. On peut aussi poursuivre la réflexion en se demandant comment éviter que la situation se produise. Les discussions qui suivent ces sketchs sont toujours très riches. 

On peut résumer les conclusions de tous ces travaux et observations en quatre verbes. 


•      Dédramatiser : les situations de conflits sont souvent des engrenages qui partent de motifs quelquefois dérisoires, même s’ils sont importants pour les individus qui les ont déclenchés. L’engrenage est aussi le résultat d’une volonté de “ne pas perdre la face” (des deux côtés). Il faut éviter de tomber dans ce piège dans lequel on ne gagne jamais (même si on croit avoir gagné à court terme). L’humour est ici un atout (mais  pas l’ironie). 

 •      Décaler : lorsqu’il y a de la tension, on perd (souvent) la raison. Réagir à chaud n’est pas forcément une bonne solution d’autant plus lorsqu’on court le risque de l’engrenage devant le reste de la classe. Il peut alors être utile de retarder et de décaler la confrontation en proposant par exemple d’en reparler à froid par exemple à la fin de la classe. Une médiation peut quelquefois être utile. 

•      Dépersonnaliser : c’est un des grands principes du droit. Il faut distinguer l’acte et la personne. Celle ci a commis un acte qui n’est pas acceptable et c’est cela qui est l’objet du conflit et d’une forme de jugement. Mais (et c’est aussi un moyen de préserver l’estime de soi) poser que celui qui commis cela n’est pas réductible à ce seul acte. Concrètement cela signifie dire à l’élève : “tu vaux mieux que ça”. Et considérer que l'on peut évoluer et revenir sur ses erreurs. 

•      Décryper : les situations de conflit naissent dans un contexte qui est celui de la classe et de l’établissement à un moment donné. Le climat scolaire peut évoluer grâce à l’action de tous et de chacun. Analyser les situations de conflit, suppose aussi d’avoir une démarche “pro-active” pour prévenir les problèmes et éviter qu’ils se reproduisent. On peut essayer de réfléchir à froid aux mécanismes qui ont conduit au conflit. On peut aussi poser la question au groupe classe dans des réunions de régulation. C'est la fonction des "heures de vie de classe" mais dans le secondaire, on peut aussi “perdre" une heure pour améliorer les relations pour le reste de l'année. N'oubliez pas également les CPE qui peuvent être d'une grande aide. 


En résumé, si on n’est jamais vraiment prêt à des situations de conflit qui sont toujours singulières et spécifiques, quelques règles d’action peuvent nous aider à anticiper et éviter quelques erreurs. Ce sont ces principes que j’ai essayé de rassembler ici. J’espère qu’ils seront utiles. 

Ph. Watrelot


Lectures utiles

Les conflits en milieu scolaire : des clés pour mieux les cerner, les anticiper, les gérer - Canopé janvier 2024

Stratégies efficaces de gestion des conflits en classe - Bien enseigner

Apprendre à gérer les conflits : 2 activités d'apprentissage - Site Etre Prof

Et bien sûr Le site NéoPass @ction de l'IFÉ

La bibliothèque idéale du professeur débutant (2021) - Philippe Watrelot


Ce billet de blog constitue un complément de la vidéo portant le même titre sur la chaine YouTube TeachSchnock






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